Le lien entre performance et cadre réglementaire s’illustre également dans l’étude réalisée par EcoVadis (2019) avec l’exemple des effets de la loi anti-corruption Sapin 2 pour les entreprises françaises.
La CSRD devrait elle aussi permettre aux entreprises européennes de progresser en matière de durabilité même si une attention doit être portée à rendre accessible cet exercice de reporting pour que l’équilibre bénéfices/coûts reste tenable dans la durée pour les entreprises européennes concernées.
Au-delà du pays d’implantation, la région, le département ou le territoire d’implantation de l’entreprise peuvent jouer un rôle dans la performance RSE de celle-ci.
Nous accompagnons depuis plusieurs années Nantes Métropole qui a depuis longtemps catalysé une dynamique territoriale puissante autour du développement économique responsable via sa plateforme RSE. L’écosystème entreprises – réseaux – associations – institutionnels se parlent et co-construisent sur ces sujets et on observe sur le territoire des entreprises particulièrement engagées.
J’ai également pu constater dans ma pratique que les entreprises (notamment familiales) implantées et attachées à leur territoire, principalement hors des capitales donc, intégraient les notions d’impacts et de longs termes de manière beaucoup plus naturelle.
En effet, les externalités qu’elles soient positives ou négatives se matérialisent alors très concrètement pour elles : le maintien des emplois à tel endroit permet l’ouverture d’une classe supplémentaire à l’école de la commune, le mécénat ou le sponsoring aide l’association sportive ou culturelle à créer des événements locaux auxquels les salariés participent, le choix de fournisseurs de proximité contribue au dynamisme économique et aux partenariats dans la durée… etc.
L’entreprise, ses dirigeants et ses salariés ne sont pas anonymes… cette exposition à l’image de celle des maires dit « à porter de baffe » encourage la responsabilité et donc la performance RSE.
Deuxième facteur de performance RSE d’une entreprise : la conviction du ou des dirigeants
Nombre de discussions que j’ai pu avoir avec des chargés de mission, responsables RSE, salariés convaincus… qui se terminaient par « de toutes façons tant que la Direction Générale n’est pas convaincue, on n’avancera pas ». Je nuancerais un peu cette affirmation.
S’il est évident que la RSE est au cœur de la stratégie de l’entreprise, et est donc un sujet de direction générale, j’ai pu constater que ce ne sont pas forcément les entreprises dont les dirigeants étaient les plus « à fond » au démarrage qui font les progrès les plus spectaculaires…
Ce n’est pas tant la conviction « idéologique » du ou des dirigeants qui compte en matière RSE que les moyens octroyés et l’exigence dans la qualité d’exécution qui pour moi fait toute la différence.
La capacité à maintenir l’entreprise « en tension » pour faire avancer les sujets dans la durée est une clé de réussite. Cette tension dans l’organisation est souvent tenue par les dirigeants et permet aux équipes de performer a fortiori sur ces sujets complexes nécessitant de l’endurance.
D’ailleurs à l’Agence Déclic, nous avons décidé de suivre un indicateur sur l’implication des dirigeants des entreprises que nous accompagnons.
D’autre part, je constate que les évolutions puissantes au sein des organisations se font généralement de manière incrémentale, ce qui est très bien décrit dans l’ouvrage Petites Victoires de Philippe Silberzhan :
« Une série de petites victoires est plus susceptible de résoudre les problèmes complexes qu’il s’agisse de la transformation d’une entreprise ou de la lutte contre le réchauffement climatique.»
Quand on couple deux sujets complexes : transformation de l’entreprise et lutte contre le changement climatique, vous obtenez un sujet très complexe ! Il est quasiment impossible de le traiter d’un bloc alors la seule option est de le décomposer et donc de passer par des étapes atteignables ou les risques sont limités pour l’entreprise. Cela est souvent perçu comme un manque d’ambition, face aux grands défis, répondons par un grand plan. Je dirais plutôt répondons par une série d’actions ou de projets périmétrés de manière raisonnable mais avançons rapidement à haute fréquence !
Pour les sportifs qui me lisent, c’est comme lorsque vous préparez un trail long. C’est la somme de vos entrainements variés, nécessairement plus courts mais très réguliers qui vous permettent, in fine, d’arriver au bout.
Troisième facteur de performance RSE d’une entreprise : l’implication de l’ensemble des collaborateurs.
La RSE ne peut être qu’un projet collectif qui doit être porté par tous et dans lequel chacun doit prendre sa part, certes, mais à des degrés divers en fonction de son poste.
Les collaborateurs dans le coeur de la démarche RSE
Vouloir sensibiliser, former l’ensemble des salariés comme préalable à l’action est une idée louable mais qui en réalité risque de retarder le passage à l’action. S’il est indispensable que les collaborateurs aient un niveau d’information suffisant sur la stratégie et les projets de l’entreprise pour donner du sens à leur mission, il n’est pas pour autant indispensable qu’ils maitrisent l’ensemble des tenants et aboutissants d’une démarche RSE, surtout de manière théorique.
Une fois les priorités établies se sont surtout les formations « métiers » qui vont permettre l’implication concrète des collaborateurs : éco-conception, recrutement inclusif, communication responsable…
La chaire Impact Positif d’Audencia vient d’ailleurs de publier une étude sur l’implication des collaborateurs Stratégie RSE : comment impliquer en interne dans la durée ? qui illustre parfaitement cette idée. C’est bien le lien avec leur métier au quotidien : temps, activité et management qui sont les éléments clés qui permettent l’implication des collaborateurs.
On y apprend notamment que le principal canal de communication utilisé pour informer les collaborateurs sur la RSE est la mise à disposition de documents.
Cela implique donc un travail de formalisation pour que les collaborateurs puissent comprendre en autonomie la démarche RSE et les avancées de l’entreprise sur ces sujets. Les réunions d’information sont aussi beaucoup utilisées pour informer les collaborateurs.
Ces résultats m’interpellent sur la part d’information « via le manager » qui reste faible et peut faire penser à une intégration encore partielle de la RSE dans le système de management de l’entreprise, alors que le soutien du manager sur ces sujets est attendu par les collaborateurs.
Le rôle des managers dans la performance RSE
L’implication des managers sur les sujets RSE est un sujet central pour faire vivre la démarche car la direction ayant posée la stratégie, les équipes ayant des attentes sur le sujet, ce sont souvent sur eux que repose la mise en musique. Il est alors nécessaire que les managers aient un niveau de formation sur la RSE en général plus important pour pouvoir être à l’aise sur ces sujets et pouvoir les articuler avec les défis opérationnels de leurs équipes.
Les dirigeants et le projet RSE
Quant aux dirigeants c’est surtout de la cohérence, de l’exemplarité et de la constance qui sont attendues pour favoriser l’implication de tous ou du moins éviter un effet contre-productif sur le sujet qui diminuerait l’implication des équipes et les performances de l’entreprise en la matière.
Le réseau des ambassadeurs RSE
Au départ d’une démarche RSE, il est nécessaire d’avoir des relais un peu partout dans l’entreprise pour faire passer les messages et avoir des initiatives régulières.
L’idée de faire appel à des volontaires est souvent mise en avant, j’ai moi-même animé un réseau d’ambassadeurs RSE pendant plusieurs années dans une entreprise multi-sites.
Ce type de dispositif est utile au démarrage, permet de valoriser des collaborateurs engagés et de mettre en place de petites actions mais qui ont le mérite d’être visibles par les collaborateurs (améliorer le tri des déchets, favoriser l’accueil de stagiaire de 3ème, organiser une conférence sur le handicap au travail…).
Il s’agit d’un appui complémentaire dans l’entreprise, mais ce réseau ne peut pas être la seule voie pour impliquer les collaborateurs au risque de faire de la RSE un sujet « à côté » du travail quotidien, basé sur des convictions personnelles et non un projet d’entreprise.
L’article « Qui sont les transféreurs, ces praticiens de l’écologie au travail » explique bien cette ambivalence du réseau des ambassadeurs :
«Le caractère informel de ces groupes fait leur force car ils n’ont pas à subir la lourdeur des processus hiérarchiques ; mais il constitue aussi leur faiblesse. Pour obtenir des changements à l’échelle de l’organisation, il faut pouvoir les négocier avec les multiples entités impliquées : management, RH, communication, personnel technique… Sans compter que pour convaincre la majorité indifférente de leurs collègues, il faudra mettre en place toute une série de stratégies concrètes et ludiques. Bref, un lourd travail pour un petit groupe d’amateurs. »
Il parait nécessaire d’être très au clair sur le champ d’actions des ambassadeurs pour éviter tout transfert de responsabilité irréaliste ou frustration légitime pour les ambassadeurs souvent enthousiastes.
Quatrième levier de performance RSE : les parties prenantes clés
Un moteur très puissant (le plus ?) en matière de performance RSE est la demande explicite de parties prenantes clés : les clients et les investisseurs notamment.
Les investisseurs sont de plus en plus exigeants sur les sujets RSE au-delà des fonds à impacts, ils ont des attentes de plus en plus élevées souvent dans une logique de couverture de risques.
En effet, en l’espace de quelques années, les risques environnementaux et sociaux sont devenus des risques majeurs pour la pérennité de nombreuses entreprises.
J’ai pour habitude de consulter tous les ans le rapport réalisé par le forum économique mondial sur la perception des principaux risques qui pèsent sur les sociétés à l’échelle mondiale. D’année en année les risques environnementaux et sociaux progressent inexorablement dans le top 10 des risques.
« Le rapport [du Forum économique mondial] affirme ainsi que “les risques environnementaux pourraient atteindre un point de non-retour”, et rejoint ainsi les analyses du Future Risk Report d’Axa, publié en octobre 2023, qui plaçait les risques climatiques en tête des risques mondiaux. » Article Novethic
Dans ce contexte, la performance RSE constitue un moyen de dé-risquer l’entreprise, avec une approche qui permet d’être pragmatique dans l’allocation des ressources sur les sujets réellement à impacts pour l’entreprise grâce à l’analyse de simple ou double matérialité.
Les attentes des clients constituent également un facteur de performance RSE important des entreprises. Lorsque ce sont vos clients qui vous challengent sur vos offres, vos pratiques et que vos équipes commerciales sont « activées » par ces sujets, on observe alors une progression très rapide de l’entreprise en matière de RSE.
En synthèse, les points clés qui constituent les facteurs de performance RSE des entreprises :
- L’implantation géographique : le cadre réglementaire et le lien avec le territoire et son écosystème a un effet significatif sur la dynamique et donc la performance RSE
- La conviction de la direction mais pas que !
- La juste implication des collaborateurs en fonction de leur rôle dans l’entreprise
- La pression des parties prenantes externes clés
Evidemment, chaque entreprise opère dans un contexte territorial, organisationnel, commercial différent, il est rare que tous les facteurs soient parfaitement alignés pour que l’entreprise performe de facto sur ces sujets.
On ne devient pas performant en matière RSE simplement en suivant le mouvement. On peut être actif sur son territoire pour alimenter la dynamique collective, on peut être particulièrement convaincu et malin dans la structuration en interne de la démarche en en faisant l’outil de conception du projet d’entreprise, en impliquant l’ensemble des équipes.
Enfin, on peut chercher à anticiper les attentes des parties prenantes externes clés pour éviter d’être en retard de phase par rapport à son secteur et faire de sa performance RSE un levier d’innovation.