Dans l’épisode 1, nous avons défini la notion de prix comme étant une valeur d’échange, en monnaie, d’un bien ou d’un service. Puis, nous avons décortiqué ce qui compose la contrepartie d’un prix, expliqué en quoi il est si difficile de calculer un coût de revient et enfin, pourquoi il n’est pas judicieux d’essayer de comparer des établissements entre eux.
L’essentiel étant de bien définir ses besoins car ils nous permettront de déterminer si le prix à payer nous parait être un prix juste au regard de nos attentes
LE JUSTE PRIX
Bien que l’agence Déclic ait conçu un Burger Quiz sur les thématiques de la RSE et des achats publics (autopromo), on ne va pas vous dévoiler dans cet article que nous avons transformé Mathieu en nouveau Philippe Risoli ! Le juste prix n’est pas qu’un jeu télé pour les couch potato, c’est avant tout un concept hyper intellectuel !
La notion de prix juste a été théorisée dès le Moyen Age par Saint-Thomas d’Aquin, théologien italien du XIIIe siècle, dans Somme théologique, sa plus grande œuvre.
A cette époque, l’organisation de la société et les rapports entre les individus sont fortement empreints des dogmes chrétiens et c’est à travers ce prisme que Thomas d’Aquin a développé la notion de prix juste.
En ce temps-là, les métiers manuels (travail de la terre et métiers de l’artisanat) étaient plébiscités par la chrétienté. L’activité des marchands, qui achètent des biens pour les revendre et dégager des bénéfices, est donc très mal perçue de la part de l’Eglise. Thomas d’Aquin se questionne à ce propos et en conclu que ces métiers marchands ne sont pas si incompatibles avec les dogmes chrétiens s’ils ont pour unique objectif d’assurer la subsistance du marchand et de sa famille. C’est la détermination d’un prix juste qui permet de justifier l’existence de ces commerces. Pour cela, il se fonde sur les enseignements d’Aristote et notamment sur les concepts de justice commutative et de justice distributive développées par le philosophe grec.
La justice commutative donne la même chose à chaque personne là où la justice distributive fait cas des inégalités entre les personnes. L’objectif est le même : promouvoir une égalité, mais qui est différente selon la justice choisie.
Voici un dessin qui illustre bien cette notion. Celle-ci se rapproche fortement du concept d’égalité et d’équité que nous connaissons mieux.
Le schéma de gauche illustre la justice commutative : chaque enfant reçoit la même chose, ici une caisse. L’égalité est réalisée à la hauteur du trait orange.
Le schéma de droite illustre la justice distributive : les inégalités entre les enfants (les différences de tailles), sont prises en compte pour savoir quel sera le nombre de caisses à distribuer pour chacun. Dans ce cas, l’égalité est réalisée à la hauteur du trait rouge.
Selon Thomas d’Aquin, le prix juste est la justice (qui peut se traduire par la contrepartie au regard des éléments que nous avons développés jusqu’à présent) qui elle-même combine les deux formes de justices : commutatives et distributives.
Le prix juste devient donc l’articulation entre ces deux justices et leurs conséquences sur les échanges entre les individus.
La justice commutative donne donc ainsi naissance à une théorie de l’échange, c’est-à-dire que la contrepartie financière doit être égale à la valeur du bien ou service reçu en retour.
La justice distributive donne naissance à une théorie de la distribution, qui doit permettre, par le biais de la contrepartie financière, d’aboutir à une égalité entre les personnes.
Dans notre monde moderne, la notion de juste prix n’a pas de définition précise dans les dictionnaires. La commande publique, pour faire écho au sujet qui nous intéresse, ne nous donne pas non plus d’explications.
Selon Artisans du monde, acteur majeur du commerce équitable, le prix juste peut se définir comme étant « le prix devant couvrir tous les coûts de production dont les coûts sociaux et environnementaux et assurer un niveau de vie décent aux producteurs ainsi qu’à leur famille ». Cette définition peut être nuancée car elle s’inscrit dans un cadre particulier, celui du prix devant être versé au producteur.
COMMENT ALORS RÉALISER CETTE ARTICULATION ?
Pour Saint Thomas d’Aquin, le juste prix ne peut s’obtenir que dans un rapport à autrui et dans un équilibre tâtonnant qui ne lèserait aucune des parties contractantes. Selon cette approche, le prix juste est nécessairement lié aux parties contractantes, il ne peut s’obtenir que dans le cadre de ce rapport à autrui. De plus, il ne peut exister de formule ou de modèle qui puisse être dupliqué, dans la mesure où l’équilibre à trouver dépend nécessairement des parties à l’échange mais aussi à l’objet de l’échange.
Ainsi, pour un même échange faisant intervenir des parties différentes, le prix juste ne serait pas le même. De la même manière, deux échanges différents entre les mêmes parties ne conduiraient pas à la définition du même équilibre.
Une notion moderne se rapprochant du prix juste est celle qui est à l’œuvre dans le cadre du commerce équitable, et qui consiste à considérer le prix juste comme le prix souhaitable au regard d’appréciations éthiques. A la différence du prix fixé de manière objective par « les lois du marché », le prix souhaitable est potentiellement différent dans la mesure où il fait appel à des notions subjectives que sont le « prix souhaitable » et les « considérations éthiques ».
De la même manière que la proposition de Saint Thomas d’Aquin, cette définition plus moderne est elle aussi fondamentalement liée aux personnes parties à l’échange.
Une première tentative pour objectiver le prix juste est de raisonner à des échelles plus globales que celle des parties à l’échange de prestations contre un prix. Pour la question de la restauration collective, une approche globale pertinente est de raisonner dans une logique de filière sur un territoire donné. Un exemple de la réalisation d’une telle démarche est la démarche Breizh Alim’ lancée par le Conseil Régional de Bretagne.
L’avantage d’une logique de filière est qu’elle permet de raisonner pour des produits similaires, et donc pour lesquels les acteurs rencontrent des contraintes similaires. Doublée par une approche territoriale, cette logique permet également de prendre en compte les contraintes et les dynamiques des territoires.
UN PRIX ACCEPTABLE
Concernant la restauration collective, c’est la notion d’acceptabilité du prix qu’il convient d’utiliser. Et elle n’est pas si simple. Ainsi, de nombreuses réponses différentes peuvent être apportées à la question suivante : « Un repas dont le coût de revient est faible et inférieur au coût de revient moyen mais dont la moitié finit à la poubelle est-il un coût de revient acceptable ? ». Pas si facile n’est-ce pas ? Et encore, on n’a pas parlé du goût et de la qualité des produits !
Pour trouver des éléments de réponses, il faut définir avant tout ce qui compte vraiment pour déterminer quel serait le prix acceptable associé.
Côté commande publique, cela passe par la préparation budgétaire, la définition des besoins et la détermination des critères de jugement des offres (nous y reviendrons). Nous l’avons indiqué dans l’épisode 1, il est difficile d’établir un coût moyen représentatif. En effet, plusieurs facteurs peuvent venir moduler le prix payé par le consommateur. Cela est notamment le cas pour la restauration scolaire où le prix payé dépend du mode de facturation : subventionnement des familles, tarif unique, tarif basé sur le taux d’effort des familles. Les solutions mises en place sont propres à chaque commune
Côté consommateur, le prix payé correspond à la fourniture d’un repas. L’acceptabilité du prix se traduit notamment dans le rapport « qualité/prix », dont l’analyse est fondamentalement subjective.
QU’EST-CE QU’ON RETIENT ?
Après avoir exploré les théories ancestrales, philosophé sur l’égalité versus l’équité, après nous être questionné sur la pertinence de payer un repas peu cher s’il finit à la poubelle, nous pouvons conclure de façon pragmatique en affirmant que prix juste et prix acceptable sont donc deux notions différentes mais néanmoins complémentaires, si tant est qu’elles puissent être comparées…
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Retrouvez les autres épisodes de la série :
Episode 1 – Qu’est-ce qu’un prix ? Quels sont les éléments qui le composent ?
Episode 3 – Qu’est-ce qu’un prix juste en restauration collective ?